Les longueurs de Claire Castillon
Publié le Par Pascal Hébert
Dans ses livres, Claire Castillon est une habituée des situations complexes qu’elle nous fait vivre à travers ses personnages. Avec Les longueurs, elle franchit un cap pour aborder le viol d’une enfant. Comme toujours avec cette brillante romancière, la force de la plume nous mène sans ambages directement au cœur du sujet. Avec un équilibre parfait, sans aucun voyeurisme, elle nous prend par la main pour suivre de l’intérieur une petite fille qui décrit ses sensations, interrogations, peurs devant l’innommable.
Quand on entend parler des femmes ou des enfants que l'on viole, pour beaucoup cela reste des paroles. Bien évidemment, on s'indigne et puis la vie reprend son cours. Avec Les longueurs, il n’y a pas d’échappatoire, nous sommes en lien direct avec l’une de ces trop nombreuses victimes. Démontant pièce par pièce le mécanisme de l’emprise d’un adulte sur une enfant, Claire Castillon ne laisse rien au hasard.
Lili est une petite fille comme les autres dans un couple divorcé. Le papa vit aux États Unis et sa maman est restée en France. Un de ses anciens amis se rapproche. Il apprivoise la mère et la fillette de 10 ans en lui donnant des cours d’escalade. De fil en aiguille, il étend comme une toile d’araignée son influence jusqu’à prendre le contrôle des émotions de Lili, puis de son corps. La petite fille a grandement confiance en cet individu qui est l‘ami de sa mère et qui l’emmène en terre inconnue de l’autre côté de son cœur.
Celui que l’on surnomme Mondjo a 43 ans et profite de son statut d’adulte pour dominer l’enfant afin d’assouvir une pulsion qui ne semble même pas le satisfaire. Enfermant la fillette dans son délire, il la manipule afin qu’elle ne dise pas ce qu’il lui fait subir. Sous couvert d’un amour plus grand que tout, il parle d’un secret entre eux et d’un futur mariage.
Lorsqu’elle se confie à une amie, Lili, devenue adolescente, explique parfaitement la situation : « J’ai du mal à entendre que Mondjo est un monstre, alors je lui explique patiemment que c’est autre chose, un vrai sentiment entre nous, même si notre différence d’âge peut sembler choquante. Lui plus vieux, donc sexe. Mois plus jeune, bizarre le sexe. »
Et lorsque Mondjo lui dit d’un ton solennel « Toi et moi », nous sommes bien loin des poèmes ‘‘Toi et moi’’ de Paul Géraldy. Du côté de la mère de Lili, ce Mondjo est un réconfort, voire une sécurité. Dans cet enfer qui détruit corps et âme, la parole devient le seul acte salvateur pour mettre un terme aux agissements d’un pervers.
Avec le talent qu’on lui connaît, Claire Castillon laisse doucement apparaître à la fin de son roman les clés qui permettent à Lili de sortir de son emprisonnement. A la lecture de ce livre pédagogique, difficile de n’être pas révolté et meurtri par cette innocence broyée. Difficile de ne pas avoir mal pour Lili, victime de la puissance maléfique d’un homme si gentil, si bon et bien sous tous rapports...
Pascal Hébert
"Les longueurs", de Claire Castillon. Editions Gallimard, Coll. Scripto. 186 pages. 10,50 €.
Trois questions à Claire Castillon
La pédophilie est un thème difficile à aborder. Comment as-tu pu être aussi juste dans ce livre exceptionnel ?
D’abord merci pour le mot. « Exceptionnel », c’est peut-être trop ! Sauf si l’exceptionnel se pose sur le fait d’être son personnage. Et je crois qu’être juste, dans un thème comme celui-ci, c’est pouvoir ressentir, pas seulement avec l’imagination, mais aussi avec ce que l’on est. Je n’ai pas eu de difficulté à me mettre dans la peau d’Alice et pas non plus à imaginer ce que peut représenter l’intrusion d’un adulte dans un univers d’enfant. Ce mélange de confiance et de bizarre, de peur et de bien-être, ces petits arrangements avec le réel pour qu’il demeure habitable, ce sont des situations littéraires. Il faut toujours repartir de là, du fait qu’un thème est d’abord une mission littéraire à remplir. Pourquoi n’avouerais-je pas que je l’ai aussi écrit pour le plaisir de la difficulté ?
Comment expliques-tu qu’un homme puisse s’en prendre sexuellement à une jeune fille ou un jeune garçon ?
Je ne peux pas expliquer car je n’ai pas le bagage psychiatrique me permettant d’évaluer, de comprendre ou juste de dire. Je ne sais pas comment ça marche. Certes, je connais des « il paraît », un au moins : il paraît qu’une personne, homme ou femme, ayant subi des traumatismes, les reproduit parfois. Je peux juste imaginer l’obsession de l’interdit. Mais je ne sais pas si c’est ça.
Tu démontres parfaitement le mécanisme employé par un pédophile pour enfermer dans un secret sa victime. Comment les parents peuvent-ils éviter ce drame ?
Là encore, c’est une question technique et moi je ne peux parler que d’impressions et de sensations, ou d'histoires. On est confronté toute sa vie à des gens qui abusent. Peut-être qu’apprendre à son enfant à dire non, écouter sa parole, y accorder de la valeur, dès sa prime enfance, au lieu de lui répéter d’obéir aux adultes sans moufter, est un tout petit premier pas.
Propos recueillis par P.H.