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Son empire, de Claire Castillon

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © Jean-François Paga


Lorsque des sujets de société passent par le filtre de Claire Castillon, le résultat est détonant. On ne sort jamais indemne des livres de l’une de nos plus brillantes romancières. Son dernier opus Son empire nous le prouve une fois de plus. Pour ceux qui suivent Claire Castillon depuis plus de vingt ans, le voyage littéraire ne manque jamais de belles escales et nous réserve toujours des sources d’émerveillement. On voit dans chaque roman s’ouvrir tout l’imaginaire d’une écrivaine inspirée et sincère.

Avec Son empire, Claire Castillon frappe dans le dur ! Pas de répit avec ce livre qui se lit au galop. Dans cette époque troublée, où le manque d’affection d’une femme se heurte à la manipulation d’un homme sans scrupule, le bilan peut être sans appel.


C’est par le prisme de l’enfant de cette célibataire à la recherche du bonheur que Claire Castillon nous livre cette histoire finement ciselée. L’emprise sur l’adulte et la fillette de 8 ans est intelligemment contée avec un style serré laissant passer seulement quelques bulles d’oxygène.


Doucement, on assiste impuissant au contrôle d’une femme et de sa famille par un homme ayant toutes les qualités de la perversion. A la fois jaloux, menteur, hypocrite et très intéressé, ce visiteur tisse sa toile dans l’esprit de sa victime qui lui trouve des excuses, qui s’accroche à des moments de bonheur. Ce manipulateur parvient toujours à s’arrêter avant la rupture pour qu’on puisse l’aimer malgré tout. Au final, il n’est pas si méchant que ça...


Hâbleur à souhait, ce triste sire joue sur tous les tableaux de la séduction. Facile, lorsque l’on trouve une personne au cœur désemparé. Disséquant au millimètre l’art de la manipulation et les contradictions d’une victime, la romancière nous livre aussi le ressenti d’une enfant embarquée dans cette histoire complexe avec un individu prêt à tout pour arriver à ses fins. Plantant ses griffes dans le cerveau de ces êtres fragiles, ce personnage, dénué de toute humanité, commence par semer le doute pour s’imposer sur le terrain de la confiance de ses proies. Et lorsqu’il parvient à reconnaître ses torts, on lui pardonne tout.


« Quand maman est à la besogne de leur couple, je sais que je ne peux plus intervenir. Elle redevient lui jusque dans son parfum », explique la fillette qui voit bien qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette relation destructrice : « J’ai compris ce qui s’est passé. Il ne peut pas avoir accès à ce qu’il doit corriger en lui alors il reprend les autres, il les note, il les récompense. »


Avec la précision d’un horloger, Claire Castillon nous livre un roman implacable !
 

Pascal Hébert
 

Son empire, de Claire Castillon aux éditions Gallimard. 159 pages. 16,90 €.
 

L'interview de Claire Castilon : « L’amour, c’est une décision »

 

Après la disparition d’un enfant, pour quelle raison t’es-tu intéressée à l’emprise d’un homme sur une femme ?
 

Peut-être qu’au fond c’est la même chose. Dans tous les cas, c’est quelqu’un qui disparaît. Sans doute une façon pour moi d’écrire sur cette évaporation des êtres qui m’intrigue tant. Alors je l’évoque, mais autrement. Il y a beaucoup de façons de disparaître avant de mourir. On a toute la vie pour les essayer.
 

Est-ce que les différentes affaires de maltraitance faites aux femmes que l’on découvre à la une des infos t’ont inspirée ?

Non, je ne crois pas. Dans “Son Empire”, c’est d’abord une enfant, et la question est peut-être : qu’est-ce qu’une enfant violentée quand la violence ne s’exerce pas directement contre elle ? La petite voit sa mère “prise” par un homme. Alors elle mime la joie, cette enfant. Parfois elle y croit. Mais elle sent la peur, le bizarre, l’obscur. Elle a envie d’être à l’abri de cette relation entre adultes et d’avoir une vraie vie de petite fille aussi. En fait, on dirait un Kinder ! Elle est toute enrubannée de joie, de doré, de rouge, de tenue de fête, mais dedans, le jouet est cassé. C’est le Kinder cassé qui m’a inspiré. Je voulais écrire cela et que ça donne un son, un peu comme l’explosion produite par une bombe de smarties et de clous. Je voulais décrire une maison contaminée.
 

Comment et pourquoi ton héroïne accepte-t-elle cette épreuve ?


Parce que c’est une femme sous influence. “Son Empire” raconte ça. L’histoire d’une destruction en marche. Qu’est-ce qui a voulu ça dans cette femme? Chez les gens qui souffrent d’addictions, on raconte que la volonté est cassée. Mais chez cette femme, c’est quoi ? Qu’est-ce qui est cassé ? Je me suis demandé es’il y avait un organe de “ça”, un organe spécialisé dans la lutte contre l’influence, qui lui ferait défaut. Je me suis même demandé où il se situait dans son corps : un muscle, un neurone, un ressort ? Elle s’enfonce dans les sables mouvants de la guimauve malsaine du type qui prétend l’aimer. Tout ce maléfique onctueux et fou est une manne à écrire. Comme la femme qui sombre. Je ne voulais pas l’expliquer à coup de psychologisation, je ne voulais pas raconter un passé pouvant expliquer ce présent.
 

Comment comprendre qu’un homme puisse avoir besoin de dominer une femme jusqu’à l’anéantir psychologiquement et physiquement ?


La notion d’emprise ne me convient pas. Je pense qu’on n’est pas “emprisée” par une personne toute extérieure à soi qui serait le mal absolu. On accepte l’emprise, on est deux à l’installer. Dans cette histoire, l’homme jette un sort quasi vaudou et la femme l’accepte. Il s’immisce, la femme s’ouvre, et quand elle décide de tout refermer, il a le pied dans la porte. A ce moment-là, elle préfère rouvrir au tyran que risquer d’entendre ses cris si elle lui écrase le pied. La peur toujours. Apprivoiser le mal, le sauvage, j’imagine qu’on y joue déjà, enfant, pour se faire peur. On a été élevé là-dedans, ou pas. Par exemple, la peur est un réflexe quand une mère est totale. Je me dis ça parfois. On cède à l’obéissance pour gagner un semblant de paix quand on est petit. Ensuite on reproduit ça toute sa vie. Ou une partie. Je ne sais pas.


Pourquoi as-tu choisi de faire raconter cette histoire à une fillette ?


La fillette, c’est l’innocence, c’est l’antidote au poison. C’est le tiers. C’était important que ce ne soit pas la femme qui raconte elle-même son histoire, entre autre pour ne pas tomber dans l’ornière de la sensualité. Et puis c’est trop facile de parler à partir de la contaminée. L’infusion du poison, parce que ça raconte ça finalement, un poison qui envahit la maison, une nécrose, devaient être décrits par un témoin présent. Le poison change la physique des relations hors la relation entre le bourreau et sa victime, alors voilà, il fallait parler depuis la maison mais quand même en dehors. En plus, l’enfant n’a pas de présupposé et il est toujours du côté du parent.


Y a-t-il toujours eu des manipulateurs, ou est-ce un nouveau mal de notre société ?


J’ai toujours pensé, non, pas toujours, mais j’ai pensé, parfois, qu’en croiser quelques-uns était fascinant. Ce ne sont pas des personnes, ce sont des personnages. La chorégraphie de cet homme dans la vie de ces deux femmes en est une déclinaison.


Les ruptures et divorces se multiplient. Peut-on croire, lorsque l‘on a vingt ans en 2021, à la vie de couple ?


L’amour a encore de beaux jours devant lui. La forme qu’il prend n’est pas très nouvelle, je crois. Vous trouverez toujours des érudits de l’amour qui vivent séparément pour maintenir la flamme ou qui ont des recettes. L’amour, c’est une décision, Après, on a une parole ou on en a pas. Un couple, c’est à la fin. Pas au début.


Claire, est-il possible d’être romantique aujourd’hui ?


Romantique avec la promenade au bord du quai, la valse sur l’eau et l’ode à l’aimée? Oh oui, pourquoi pas? Personnellement, je n’aime pas trop l’eau. Je préfère la terre. Mais j’adore les mots.
 

Propos recueillis par Pascal Hébert.