Miss Crampon, de Claire Castillon
Publié le Par Pascal Hébert
Claire Castillon est une talentueuse romancière ! Depuis près de vingt ans, sa plume vagabonde dans les méandres de notre âme. Dans un domaine, où on ne l’attendait pas forcément celui des livres pour la jeunesse, il est indéniable que là aussi elle excelle. Dans cette littérature loin d’être facile, Claire Castillon éclabousse de son esprit lumineux les petites histoires qu’elle concocte pour nos chers ados.
Dotée d’une imagination sans borne et d’un univers pour le moins rafraîchissant, on peut même dire que la belle prend du plaisir à conter des histoires croquignolesques. Des histoires, il est vrai, agrémentées d’un style unique. Avec Miss Crampon, Claire Castillon met en scène la vie truculente d’une adolescente à la découverte d’un monde pas toujours facile. A quoi bon avoir deux supers amies et des prétendants lorsque l’on ne sent pas encore prêt à affronter l’univers. Avec sa finesse habituelle, Claire va au-delà de l’histoire pour nous emmener là où elle a bien envie. La petite Suzine porte l’amitié jusqu’au sacrifice. A un âge, où l’effet bande est indispensable pour exister, l’ado fait tout pour être bien vue de ses copines qui semblent gentiment se moquer d’elle. Car les deux ‘’engins’’ se montrent plus dégourdis notamment avec les garçons et un certain Tom qui fait valser les têtes… mais pas celle de Suzine. De fil en aiguille, la belle Suzine se voit embarquée dans un concours de collégiens Miss Crampon avec ses deux copines. Retenue pour la finale, Suzine devra se battre, non pas contre ses rivales d’un soir, mais bien contre elle-même pour assumer une différence que d’aucuns découvriront. Claire Castillon apporte dans chaque page de Miss Crampon son humour et sa vision de la difficulté d’être adolescent avec une émotion non feinte. Comme toujours, Claire utilise avec brio son style incomparable et remarquable pour nous faire découvrir des personnages haut en couleur avec une tendresse particulière pour la petite Suzine.
Miss Crampon est bien évidemment destiné à la jeunesse, mais les parents sont autorisés à plonger dans les lignes de ce livre !
Pascal Hébert
Miss Crampon de Claire Castillon aux éditions Flammarion Jeunesse. 202 pages. 12 €.
Interview :
Claire, que représente l’adolescence pour toi ?
Une sorte d’espace que je n’ai pas traversé. Je voulais être grande. J’ai le sentiment d’être passée de l’enfance à l’âge adulte, sans passer par cet espace-temps. L’adolescence, je vois ce que c’est, je sens ce que c’est, mais c’est quand même une terre étrangère. Tout me faisait horreur, je dois dire, des boutons au « j’me cherche ». Et pourtant, ça m’inspire. Ou alors c’est pour cela que ça m’inspire. Parce que j’ai raté un truc.
Est-ce que c’est un univers avec lequel tu te sens proche ?
Eh oui, paradoxalement oui. Je suis assez proche de ceux que je ne connais pas. Etre proche des proches, ça se complique.
Comment as-tu traversé cette période ?
J’avais sans cesse une phrase en tête qui était « Je veux être adulte ». Je détestais le groupe. C’était vraiment une aversion. Je dirais même que voir mes meilleures amies « verser » dans un groupe me paniquait : allait-il donc falloir que je m’adapte moi aussi ? Ce que j’aimais, ce que je voulais, c’était vivre une amitié et une seule, comme on vit un face à face. Le reste, c’était la masse, et je détestais ça.
Peut-on encore vivre aujourd’hui une adolescence dans l’insouciance ?
Je ne pense pas avoir vécu la mienne dans l’insouciance. Evidemment, je me demandais si j’étais bien, ça veut dire si j’étais quelqu’un de chouette, avec qui on veut être ami, ou dont on peut être amoureux. L’insouciance, je ne sais pas. Je pense qu’on l’acquiert avec la liberté. Et quand on est adolescent, on est tout sauf libre.
Le diktat du groupe est-il toujours aussi important ?
Je ne sais pas ce que c’est, être ado en 2019. Je vois passer des groupes dans la rue. J’imagine que la fille toute seule qui exigerait l’exclusivité se ferait recadrer mais au fond je n’en sais rien… Je crois quand même qu’on marche à plusieurs. Donc je suis contente de ne pas l’être. De ne pas l’avoir été.
Les réseaux sociaux sont-ils positifs ou négatifs dans les relations entre ados ?
Je ne les pratique pas, je les trouve vides. Ils prennent du temps. Ils racontent du faux-vrai : je n’aime que le vrai. Suivant les conseils d’une amie il y a quelques années, je me suis inscrite sur facebook, ça a duré trois jours. J’ai fait « le pouce » à des commentaires et puis j’ai arrêté. Je ne suis pas devenue écrivain pour parler à des gens quand même ! Pour les adolescents, j’ai peur du harcèlement, de la méchanceté, des tentations. J’ai peur de tout pour eux. Et je n’aime pas les tablettes, les téléphones. J’aime bien les mails, mais pas le reste. Ce que j’aime pour les adultes est valable pour les ados. J’ai une aversion pour les tutoriels aussi. Il y a des jeunes filles de je ne sais pas… quinze, seize ans, qui se filment en train de se faire les ongles ou un brushing. Ça me déprime. Le fond de teint qui bouche leurs pores, les sourcils épilés qui ne repousseront jamais beaux ! Je préférerais les voir rigoler, au cinéma, chez l’une, chez l’autre… Et j’ai pas dit « en train de lire ! »
Dans ce livre, la différence avec notamment un handicap est bien soulignée. Comment perçois-tu les relations entre les jeunes ?
Je suis touchée par les petits handicaps. Par la montagne qu’ils peuvent représenter dans une tête en devenir. C’est dur d’avoir une tare. J’imagine que comme chez les adultes il y a les ados qui acceptent l’autre avec sa tare, il y a ceux qui s’en servent, il y a ceux qui aident, et ceux qui dépassent… La bonté, elle vient tôt, heureusement. La connerie aussi, hélas !
Dans Miss Crampon, l’amour des ados se perd plutôt dans la séduction que sur les sentiments. Le désir de plaire est-il plus important que l’amour ?
La pauvre Suzine a ce « petit problème » qui la complexe. Elle est encore très jeune pour ressentir de vrais sentiments, d’ailleurs c’est l’amitié qu’elle recherche. L’amour est encore pour elle une terre inconnue et… Pas du tout attirante. Elle a le courage de le reconnaître et de ne pas se forcer.
Miss Crampon ne cède pas au diktat du groupe en évitant de sortir avec Tom qu’elle n’aime pas. Comment définis-tu Suzine ?
Elle est toute petite au fond ! Très au fait de ce qui se passe autour d’elle, tant avec son père qu’avec sa mère. Totalement paniquée quand une querelle bouleverse l’ordre amical. Toute fragile quand il s’agit de défiler sur une scène. Mais forte, quand la chance tourne en sa faveur. C’est le genre de fille qu’un coup du destin peut faire basculer, autant vers le bon que vers le mauvais.
Claire, dis-moi, l’amour de l’adolescence est-il plus fort que celui des adultes ?
La grande adolescence a des aspirations. Mais je ne sais pas… Je dis que je ne sais pas et ce n’est pas l’apanage des adultes de ne pas savoir. Je pense qu’aimer à en mourir est possible à 15 et à 35 ans. C’est plus tard que ça devient raisonnable. Enfin peut-être.
Propos recueillis par Pascal Hébert.