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L’Ère des suspects, de Gilles Martin-Chauffier

Publié le  Par Pascal Hébert

Crédit image © Jean-François Paga


Une fois de plus, Gilles Martin-Chauffier s’attaque à l’hypocrisie de notre belle société. Après d’excellents livres comme Belle-Amie, Silence, on ment ou Les Corrompus, le journaliste puise dans son expérience pour se pencher cette fois-ci sur la banlieue.

Difficile d’être juste lorsque l’on s’attaque à un sujet aussi délicat, touchant des quartiers dits « sensibles » dont la population est composée d’une très grande majorité d’immigrés venus du Maghreb ou du quart monde hexagonal. Depuis SOS Racisme, les politiques de droite et de gauche sont comme paralysées par les quartiers qui peuvent s’embraser à la moindre occasion. Un peu partout en France, malgré des politiques de la ville globalement bien menées par les municipalités responsables, les quartiers changent de physionomie. Et pourtant, au-delà des apparences et des immeubles rénovés, au fond, rien ne change. Les années passent et l’économie parallèle tourne à plein régime. Dans son roman L’Ere des suspects, véritable thriller, Gilles Martin-Chauffier se lance courageusement dans l’aventure des quartiers et notamment dans la Cité noire de Versières. Un adolescent est retrouvé mort non loin du RER. La veille, un jeune gardien de la paix l’avait poursuivi. Pour corser l’affaire, les deux protagonistes avaient échangé quelques mots dans la rue. Une rencontre filmée et postée aussitôt sur les réseaux sociaux. Très vite, les choses sont prises au sérieux par les plus hautes autorités de l’Etat. Même si le policier, qui dit avoir arrêté sa course, semble innocent, la vidéo fait basculer le quartier. Pour calmer le jeu et éviter un embrasement général, le policier est mis sur la touche.
 

Dans ce roman choral, Gilles Martin-Chauffier met en avant tous les acteurs de cette histoire. Entre les bonnes consciences, la police, les avocats, la presse et les politiques, sans oublier les jeunes et les grands-frères des quartiers qui font le lien avec les autorités municipales, L’Ère des suspects n’épargne aucun des protagonistes et le voile se lève sur chacun d’entre eux ainsi que sur leurs mensonges qui arrangent tous les camps. Dans ce genre d’affaire où l’on fait peu cas du véritable coupable, le but est bien d’éviter un scénario catastrophe avec des voitures qui brûlent et l’envoi de compagnies de CRS pour calmer le jeu. En plein été, le pouvoir en place n’a pas envie de gérer un dérapage qui risquerait d’occuper la Une des journaux télévisés pendant plusieurs jours avec une issue toujours inconnue. L’ère des suspects est aussi l’occasion de pénétrer dans l’intimité de tous les acteurs entourant la mort de Driss. Une fois de plus, on s’aperçoit que chacun a intérêt à agir en fonction de ses petits intérêts personnels.
 

Gilles Martin-Chauffier signe ici l’un de ses meilleurs romans avec une construction ambitieuse et particulièrement bien réussie.

Pascal Hébert


L’Ère des suspects, de Gilles Martin-Chauffier, aux éditions Grasset. 285 pages.