Gérard Leray retrace la vie de Monsieur Paul, un homme bien charitable…
Publié le Par Pascal Hébert
Gérard Leray est un professeur d’histoire à la rigueur incontestable. Un passionné comme on en voit rarement. Parmi ses nombreuses qualités, il y a la recherche de la vérité. Son désir de mettre en lumière certains personnages oubliés, comme le commissaire Porte, ou encore d’autres dont certains préféreraient oublier même le prénom comme Monsieur Paul, l’anime depuis toujours.
Bénévole au Secours catholique, Monsieur Paul, presque dans le grand âge, se refait une ‘’virginité’’ à Chartres à la fin des années 70. Sous couvert d’avoir servi le bon abbé Pierre, Monsieur Paul se voit ouvrir toutes les portes du milieu bien pensant chartrain. Il accueille les pauvres comme les riches avec la même ferveur et le même charisme. Avec les premiers, il entretient la flamme de la compassion et avec les autres celle de la cupidité qui scelle des intérêts communs.
Dans son livre remarquable, Gérard Leray retrace la vie d’un escroc qui a toujours su rebondir en cloisonnant une vie à plusieurs tiroirs mêlant les bonnes et mauvaises actions. Avec l’abbé Pierre qui lui a tout pardonné, Monsieur Paul a su mettre en pratique le fameux dicton : "charité bien ordonnée commence par soi-même"…
Avez-vous connu Monsieur Paul ?
Absolument pas. À l'époque de la présence de Monsieur Paul à Chartres, entre 1980 et 1986, j'étais étudiant à Orléans. J'ai obtenu mon premier poste d'enseignant à Lucé à l'automne 1986, précisément au moment où il a quitté l'Eure-et-Loir. Ceci dit, a posteriori, j'aurais aimé faire sa connaissance...
Que retenez-vous du personnage ?
Sa dualité mystérieuse, d'un côté sa volonté – incontestablement sincère -, de venir en aide aux miséreux, de l'autre son incontrôlable besoin de flamber en société, d'assouvir ses plaisirs personnels par un art consommé de l'arnaque. Également sa culture raffinée acquise en self made man, son génie d'adaptation à toutes les situations, sans oublier son immense talent de séducteur. Il a réussi l'exploit de se fondre dans la société beauceronne en un temps record...
Comment expliquez-vous que tant de personnes soient tombées dans ses filets et ses arnaques tout au long de la seconde moitié du XXe siècle ?
Monsieur Paul avait une force de persuasion hors norme. Son charisme, son humanité, sa force de conviction dans le discours faisaient tomber les défenses des plus sceptiques. Il savait exploiter la naïveté et la cupidité des "pigeons". À sa façon, il fut le gourou d'une armée d'inconditionnels, femmes et hommes.
« L'abbé Pierre ne soutient pas l'escroc, mais le pécheur »Monsieur Paul, c’est un peu Janus : je fais le bien et je me paie sur la bête. Comment l’abbé Pierre a-t-il pu soutenir cet escroc de haut vol ?
L'abbé Pierre ne soutient pas l'escroc, mais le pécheur, au sens religieux du terme, qui affiche une volonté de pénitence et de rédemption. Le fondateur d'Emmaüs croyait dur comme fer que Paul se sauverait grâce à son investissement dans l'aide « aux plus souffrants ».
Où se place la morale de l’abbé Pierre dans cette affaire ?
Clairement au-dessus de la justice des hommes. Dieu détient le pouvoir du Jugement, lui et lui seul. Dans l'absolu, le pire des criminels mérite qu'on lui tende la main. L'abbé aimait à dire : « Pour faire tenir un homme debout, il en faut deux tordus, mais pas dans le même sens ». Se considérait-il comme l'un des deux tordus ? Peut-être...
Monsieur Paul recevait publiquement ses "clients" à la plus grande table de Chartres et ce pendant des années. Comment est-il possible que personne ne se soit inquiété de cette vie luxueuse d’un homme soit-disant si proche des humbles ?
Son secret : il inspirait la confiance absolue… Il affirmait qu'il était un ancien banquier, qu'il disposait d'une fortune personnelle qui lui permettait de bien vivre et de consacrer son existence aux malheureux. Tout le monde a gobé le mensonge. Et l'argent qu'il dépensait sans compter n'était pas le sien, mais celui de sa cavalerie, des arnaqués… Il aurait fallu que quelqu'un regarde du côté de son casier judiciaire, mais personne n'y a pensé...
Organisateur hors pair, Monsieur Paul a monté plusieurs affaires pour le compte d’Emmaüs en Normandie et un peu partout en France. L’abbé Pierre a profité de ses compétences pour installer sa notoriété et son image dans l’imaginaire collectif. Est-ce un péché d’orgueil de la part de cet homme, longtemps personnalité préférée des Français ?
Je ne crois pas. L'abbé savait que Paul avait été un escroc repris de justice juste avant son arrivée à Emmaüs en 1953. Il s'était persuadé que Paul avait changé en bien, qu'il avait recouvré sa droiture. Son erreur fondamentale a été de lui accorder une confiance aveugle. Il a ainsi fait de Paul son bras droit pendant plus de vingt ans. Oui, Paul a permis à Pierre et à Emmaüs de devenir incontournables et célèbres. Oui, sans Paul, Pierre n'aurait jamais acquis son statut d'icône immortelle. Quand l'abbé s'est rendu compte que Paul piquait dans la caisse, il s'est senti trahi, sa colère a été terrible, mais elle n'a pas duré…
Une centaine de victimes en Eure-et-LoirComment expliquez-vous que lorsque l’affaire a éclaté en 1988 à Chartres, peu de personnes se soient porté partie civile ?
Des centaines de personnes en Eure-et-Loir ont été « victimes » de la cavalerie de Monsieur Paul. Une cinquantaine seulement a osé porter plainte. Trois raisons essentielles : d'abord la honte de s'être fait berner, ensuite la conviction que les sommes confiées à Paul étaient perdues à jamais, enfin la peur d'attirer l'attention du fisc sur des capitaux à l'origine douteuse, c'est-à-dire non déclarés...
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans un sujet digne d’un mauvais polar noir des années 60 ?
C'est un mauvais polar seulement en apparence. En réalité, les personnages complexes, troubles, ambigus, m'intéressent énormément. Ils sont le miroir de notre société. L'étude du parcours de vie de Monsieur Paul s'inscrit dans la continuité de mes précédents travaux sur Simone Touseau (la tondue de Chartres) et le commissaire de police de Chartres Charles Porte.
Emmaüs a gommé dans son histoire le passage de Monsieur Paul. Qu’en pensez-vous ?
J'essaie de me mettre à la place d'Emmaüs : difficile pour la vénérable institution d'avouer qu'elle doit en partie sa fortune et sa réputation internationale originelle à un escroc, Monsieur Paul… Il fallait laisser du temps au temps. Et, aujourd'hui, le temps est venu de raconter l'histoire. Je veux préciser qu'Emmaüs ne m'a pas mis de bâtons dans les roues. Il m'a ouvert ses archives, laissé travailler sans contraintes, m'a même beaucoup aidé dans la recherche documentaire. J'ai apprécié sa grandeur d'esprit.
En conclusion, comment percevez-vous l’abbé Pierre ?
L'abbé était un homme terriblement tourmenté. Il se sentait très proche de Paul. Il n'a jamais abandonné son « ami vrai », comme il disait. Pierre a pardonné à son ancien lieutenant. D'ailleurs, les deux hommes ont continué à se voir assez régulièrement jusqu'à la mort de Paul en 1998...
A vos yeux, Monsieur Paul a-t-il des circonstances atténuantes ?
C'est difficile à dire. Cependant, à l'évidence, Monsieur Paul était psychiquement malade, aux portes de la schizophrénie. À ma connaissance, il n'a reçu aucun soin concernant cette pathologie au cours de son existence...
Propos recueillis par Pascal Hébert
Monsieur Paul de Gérard Leray. Editions Ella. 246 pages. 18 €.