Annie Ernaux : le temps de l’innocence
Publié le Par Pascal Hébert
Annie Ernaux s’est lancée dans le difficile exercice de ranimer les souvenirs de son adolescence à une période donnée : 1958. Sans artifice et sans idée romanesque, Annie Ernaux réveille doucement son double Annie Duchesne dans sa campagne d’Yvetot ou plutôt dans celle d’un village de vacances situé dans l’Orne. Là où tout démarre. Là où la jeune fille niaise perd son innocence en même temps que son pucelage.
En rejoignant un groupe de moniteurs affranchis, la campagnarde va tenter de se frayer un chemin pour prendre sa place parmi ceux qui croquent la vie à pleines dents. Plongeant dans les odeurs, les écrits ou les pensées de celle qui a muté en Annie Ernaux, l’écrivaine ravive des souvenirs douloureux d’une époque sans concession pour ceux qui ne sont pas allés à bonne école. Annie Ernaux nous rapproche des mœurs de cette fin des années cinquante où les jeunes filles cherchaient encore le grand amour. Ne jetant aucun voile tabou sur le comportement d’une jeunesse baby boom, la romancière met parfaitement en exergue dans ce livre les sentiments amoureux et les relations sexuelles ou pas qui en découlent. En marge, c’est aussi la vie d’une provinciale qui cherche sa voie dans une société dite de mécanique moderne d’après guerre. Une société où les parents voulaient la réussite de leurs enfants en profitant de l’ascenseur social.
En nous restituant le parfum de cette France provinciale, Annie Ernaux nous plonge sans nostalgie dans une époque où les rapports entre les filles et garçons étaient tout de même compliqués.
Pascal Hébert
Mémoire de fille d’Annie Ernaux. Editions Gallimard. 155 pages. 15 €.